Histoire secrète de la DGSE
Jean Guisnel  

Mme Séphora ZIDOUD

 

Introduction 


    Lever le voile sur les arcanes de l’institution la plus informée de France, tel est l’objet d’Histoire secrète de la DGSE. Jean Guisnel, en tant que spécialiste de l’espionnage français, promet de révéler des histoires inédites et de retracer l’évolution de la Direction générale de la sécurité extérieure. 

I/ Biographies 

A) Parcours 


    Jean Guisnel, né le 8 septembre 1951, étudie à l’École normale d’instituteurs de Rennes. S’il participe au lancement de l’Agence de Presse Libération (APL), il intervient également dans la création du journal quotidien Libération où il travaillera. Envoyé spécial au service investigation puis grand reporter au service politique, il en est le rédacteur en chef adjoint pendant 5 ans. En 1996, il intègre Le Point et se consacre aux questions militaires, à l’espionnage, la guerre, internet et les services secrets. Il réalise notamment quatre films sur ce sujet sur diffusés sur France 5 et rédige plusieurs ouvrages sur le thème de la défense. Pour leur ouvrage intitulé Le Président et la Bombe, Jean Guisnel et Bruno Tertrais décrochent notamment le Prix Brienne du livre géopolitique 2016 remis par le ministre de la Défense, JeanYves Le Drian, alors président du jury.

 

B) L'esprit de ses oeuvres

    Si Jean Guisnel a contribué à la rédaction d’Histoire secrète de la 5ème République, accompagné de six autres auteurs, ou encore d’une Histoire politique des services secrets français de la seconde guerre mondiale à nos jours avec deux autres collègues, c’est avant tout parce que ce dernier s’inscrit dans une logique chronologique tendant à expliquer le présent par le passé. Pour appréhender la face cachée du pouvoir français, il livre ses analyses quant à l’évolution de l’usage des pouvoirs de l’État. Jean Guisnel avertit quant à l’actualité tout en rendant compte à ses lecteurs des enjeux souterrains liés aux institutions. C’est pourquoi il a pu s’intéresser aux Guerres dans le cyberespace et qu’il a choisi de se concentrer sur un service de renseignement français s’étant fait remarqué à de nombreuses reprises ses dernières années.

 

II/ Contexte d'écriture :  

    Avec le grand succès rencontré par la série Le Bureau des Légendes, la DGSE se retrouve sous le feu des projecteurs (A). Néanmoins, avant de s’arrêter à ce qui a pu susciter l’intérêt du grand public, Jean Guisnel s’attarde avant tout sur une réforme qui s’est penchée sur la modernisation du fonctionnement de la DGSE (B).

A) Le rayonnement du Bureau des Légendes :  

Diffusée sur Canal + à partir d’avril 2015, la série d’Éric Rochant prend fin en mai 2020, ce qui n’est pas le cas de son influence. Effectivement, dans un contexte où les fictions sur le domaine de l’espionnage ne se comptent pas, la production française ne passe pas inaperçue au point d’être considérée comme l’une des meilleurs séries au monde par The New York Times. De fait, cette popularité pousse Jean Guisnel à passer au crible les représentations partagées dans ces épisodes afin de présenter la DGSE dans toute son authenticité afin de retracer le développement de « la boite » comme elle est surnommée. Toujours dans une démarche d’enquête exhaustive, il abordera les conséquences qu’impliquent l’œuvre cinématographique sur la réalité du monde de l’espionnage français.

B) La réforme de la DGSE :

    Les responsables politiques tentent de maintenir une stabilité dans la sécurité nationale. Cette aspiration s’apparente à une adaptation constante aux défis que rencontre la gestion de la défense française. C’est pourquoi le chantier de la réformation de la DGSE engagé par l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy en 2008 a été initié. Il en résulte que l’auteur est saisi par la « mutation historique profonde » qui s’installe à partir du début du XXIe siècle. Que ce soit en termes d’outils techniques ou de moyens financier, ou encore dans l’administration de la DGSE, une « rupture » s’établit dans l’appréhension du renseignement par le pouvoir en place. C’est d’ailleurs cette réforme que prend comme point de départ Jean Guisnel dans son enquête pour dresser l’histoire de ce service et en actualiser l’analyse

 

III/ La naissance du service et quelques affaires marquantes : 

    C’est à André Dewavrin que le général de Gaulle confie la mission de l’institution d’un service de renseignement de la France Libre (A). Le 1er juillet 1940 est fondée le service de renseignement et d’actions clandestines de la France libre, le Bureau central de renseignement et d’action (BCRA) dans la volonté du général de Gaulle de « disposer de renseignements fiables ». L’organisation inédite établie donnera lieu dans la postérité à des missions orchestrés parfois des plus rocambolesques (B).

A) André Dewavrin, le précurseur :  

    Sous le nom de code « Passy », le polytechnicien André Dewavrin dirige le Bureau Central de Renseignement et d’Action et contribue à la victoire lors de la Seconde Guerre mondiale. Sans disposer d’expérience particulière dans le domaine, il parviendra à gérer près de 2000 agents jusqu’en 1945. 

    Dewavrin s’attache alors dans cet exercice à la création de deux des branches qui structureront les Forces françaises libres (FFL). La 1ère consiste en un Bureau central de Renseignement et d’Action militaire (BCRAM) qui se concentre sur l’aspect militaire. Le 2ème Bureau des Services secrets (BSS) est chargé du contre-espionnage, de la sécurité intérieure et des opérations de sabotage en France. Enfin, le dernier Bureau dont il ne s’occupera pas personnellement est celui de la Coordination des Mouvements de Résistance. 

    Une collaboration étroite s’organise ainsi dans le but de lutter contre le régime de Vichy lors de la guerre. Ainsi le 2ème bureau œuvrera aux cotés des services Anglais (SOE : Special Operations Executive) dans leur quête de renseignement afin de préparer, entre autres, le débarquement des alliés en France. 

    Enfin, pour résumer les transitions qui aboutissent à la DGSE par la suite, il faut savoir que la DSR/SM (Direction des services de renseignement et de sécurité militaire) fusionnera en 1943 avec le BCRA au sein de la DGSS (Direction générale des services spéciaux). Le fruit de cette association ne tardera pas à être remplacé par la DGER ou Direction générale des études et recherches fin 1944 aux commandes du colonel Dewavrin. Cette dernière filiale mutera pour former la SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage) en 1945, qui précède l’actuelle DGSE créée en 1982.

B) Affaires marquantes : 

• Le cas du Rainbow Warrior, 10 juillet 1985 

Ce sabotage représente sûrement l’une des interventions de la DGSE la plus déclamée. Dans la nuit du 10 juillet 1985, des agents coule le navire appartenant à l’ONG écologiste Greenpeace. Les activistes se dirigeaient vers l’attol de Mururoa afin de protester contres les essais nucléaires français. Alors que le chalutier Rainbow Warrior demeure sur le quai d’Auckland en Nouvelle-Zélande, les agents, sur ordre du Ministre de la Défense Charles Hernu, posent sur le bateau des charges qui exploseront et tueront un membre de l’équipage. L’implication de François Mitterrand provoque une controverse. Selon l’ancien directeur de la DGSE Pierre Lacoste, le président de l’époque aurait été au courant de cette opération commanditée.

• Le cas Lafarge, 2011 

Lafarge est le nom d’un groupe français qui détient des usines de ciments à l’étranger. Le groupe aurait dans cette affaire financé des groupes armés dont des organisations terroristes pour assurer le maintien de ses activités dans un contexte de guerre en Syrie. Les hauts fonctionnaires du renseignement français auraient par ailleurs cautionné ces agissements dans la mesure où ils obtenaient des renseignements de la part des dirigeants de Lafarge. 

• Le cas des écoutes de l’Élysée, 2013 

Des rapports de la NSA (National Security Agency) des États-Unis ayant fuité, la DGSE a pu confirmer les soupçons qui planaient sur l’intrusion des services secrets américains dans les communications issues de la résidence officielle du président français. Les hauts fonctionnaires, membres du gouvernement et responsables de l’Élysée en auraient été les cibles. Ce tollé médiatique a mis en évidence l’enjeu majeur que sont les pratiques de surveillance électronique à l’échelle mondiale.

IV/ Le développement : 

    Tout d’abord, l’auteur a mis en avant l’ambition de la DGSE de s’ouvrir à la société et sur la société. Le temps des scandales est révolu, laissant place à une nécessité d’opter pour des stratégies de communication. En ce sens, Le Bureau des Légendes, une série somme toute réaliste quoique la fiction prenne parfois le dessus, a pu redoré l’image du service et s’avère être un bon moyen pour attirer de futurs agents. Plus tard dans le chapitre « La pépinière des espions » ou encore dans « La pêche aux grosses têtes », l’auteur rend compte de l’urgence de recruter du personnel pour la DGSE. Cette nécessité se traduit actuellement par l’instauration dès le collège ainsi que dans les lycées et universités de concours portant par exemple sur les techniques de décodage qui sont autant d’occasions pour éveiller les vocations et faire du repérage. Toutefois, les modalités d’entrée et d’évolution dans « la boite » sont très exigeantes avec seulement 10 pourcents de renouvellement d’agents pas an. 

    Dans un contexte de développement d’éminents progrès techniques et de nouvelles technologies, le domaine cyber demande ainsi beaucoup d’attention. Les menaces se multiplient. La Chine tente de corrompre des hauts placés par le truchement de LinkedIn tandis que les grandes puissances développent des instruments d’écoute et de surveillance de leurs populations, de celle d’autres pays et s’introduisent même dans les réseaux de l’Élysée. Une seule chose est sure, la France ne peut croire en des liens de confiance dans les relations qu’elle entretient. Jean Guisnel partage ainsi la citation de Charles de Gaule « les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ». 

    De plus, les conflits ne sont pas seulement externes dans la mesure où la DGSE s’expose à l’animosité du quai d’Orsay ou encore des armées, consternés par l’hégémonie du service de renseignement. Les tensions émergent quant aux missions et moyens alloués aux services ou encore au sujet de la formation dont doit être issu le directeur de la DGSE. Il faut dire que les présidents aussi entretiennent des relations ambiguës avec ce service. L’affaire autour de François Hollande sur « ce que ne devrait pas dire un Président » a par exemple ouvert le débat sur les opérations clandestines ainsi que l’instrumentalisation des actions de la DGSE faites pour « se venger ». Jean Guisnel souligne par la même occasion qu’œuvrer pour tuer un chef ennemi n’a pas de résultat positif si ce n’est retarder l’avènement d’un nouveau leader s’inscrivant dans le sillage du précédent. Si le mode d’opération français se distingue de celui du Mossad, il n’en demeure pas moins que le service détient un droit d’« entrave » fort dangereux. En effet, cette disposition parait dans le décret de la création de la DGSE en 1982 d’abord, mais seulement « contre les activités d’espionnage dirigées contre les intérêts français » et se manifeste depuis dans un cadre juridique « plus large, plus ouvert et aussi plus évasif » met en garde le journaliste. 

    S’agissant des débordements, les pratiques du service action (SA) normalement « non revendicable et non attribuable » apparaissent comme controversées au vue de leur indiscrétion en Libye et de leur échec dans le sauvetage de l’infiltré Denis Alex en Somalie. Malgré les dérives, Jean Guisnel tient compte de la difficulté du métier et réserve un chapitre sur « la culture du renseignement ». Il y partage les valeurs de la DGSE qui se comprennent par le « système LEDA » : Loyauté, Exigence, Discrétion, Adaptabilité. Il rappelle aussi les priorités de l’institution, à savoir le renseignement sur l’approvisionnement énergétique de la France, l’exportations d’armement et la lutte contre l’espionnage visant les intérêts français sur le territoire national et ailleurs. Le soutien aux régimes alliés et la prévention du terrorisme figurent au même titre dans le cahier des charges.

IV/ Pistes de réflexion et références connexes :

    Afin de présenter l’avis que j’ai formé quant à ma lecture, j’envisagerai de manière succincte une évaluation du fond (A) puis de la forme (B).

A) Critiques du fond : 

    Pour un ouvrage de 358 pages en édition de poche, les thèmes abordés sont selon moi pertinents et cohérents. Sont évoquées des problématiques qui ne sont pas assez débattues comme celle de la légitimité des attaques ciblées outre les enjeux d’actualité et les grands scandales. A cet instar, le passage sur les interventions en contradiction avec les objectifs internationaux en Libye m’a bien plu dans la mesure où l’on est face à un véritable travail d’investigation. Critiques et complètes, des explications sur les divers et complexes aspects que revêt cette affaire nous sont alors livrées. L’auteur nous donne une vision d’ensemble sur tous les acteurs et les moyens dont ils disposent pour poursuivre leurs intérêts. 

    Nonobstant, il peut s’avérer regrettable que cette méthode n’ait pas été adoptée à l’égard de tous les exemples cités. Plutôt que de multiplier les références, les développer plus amplement inscrirait d’autant plus l’ouvrage dans la démarche informative. Évoquer vaguement l’affaire Ben Barka ou encore annoncer simplement que l’affaire du Rainbow Warrior a considérablement marqué le service et ses liens avec le politique est une chose. En exposer les méandres pour éclairer le public en est une autre qui aurait plus de valeur.

B) Critiques de la forme : 

    L’organisation choisie est claire avec des titres en plus des chapitres pour permettre une lecture plus agréable. Au contraire, l’obstacle des acronymes omniprésents dans un domaine aussi technique peut bloquer le lecteur. Ajouter un index qui donnerait leur signification simplifierait le tout. 

    Ce qui peut par ailleurs poser problème, selon moi, réside dans la prépondérance de citations dans certains paragraphes. Certes accorder la parole à beaucoup d’agents (91 se sont entretenus et certains ont accepté que leur propos soient retranscrits) permet de donner une autre perspective nécessaire à la compréhension du réel et les témoignages des auteurs hommes et femmes, et des personnalités politiques importent beaucoup. Cependant, j’ai parfois trouvé que les propos extraits étaient trop longs sans vraiment être expliquées même si l’auteur n’oublie pas de relever les sources dont ils sont issus de manière précise. Ses notes de bas de page constituent ainsi une documentation des plus riches pour d’amples recherches. 

    Ces défauts dénotent tout de même d’un soucis du détail remarquable et d’une sincère volonté de l’auteur de donner accès à des connaissances précises qui sont autant d’outils pour interpréter de manière plus avisée et dans leur contexte les politiques et actions menées par la DGSE.

Références connexes et Bibliographie 

Pour davantage d’entrées bibliographiques, cf. la bibliographie indicative que propose Jean Guisnel dans l’ouvrage présenté et ses notes de bas de page qui renvoient notamment à beaucoup de ses articles. 

Pour aborder l’évolution du partage du renseignement à l’international à la suite des attentats de 2015, cf. le documentaire de Christophe Cotteret « 13 novembre 2015 : Anatomie d’une instruction », Arte, 90 min, 2022. 

Sur les histoires d’espion à travers le monde et dans le temps, cf. la série de podcasts « Espions, une histoire vraie » sur France Inter, 52 épisodes, 2020-2024.  

Pour appréhender les ancêtres de la DGSE, consultez l’article de Claude Faure « Du BCRA au SDECE : le renseignement au service de la République » Après-Demain 2016/1 (N°37, NF), pages 12 à 14. 

Enfin, afin de découvrir les méthodes de recrutement des agents de la DGSE, cf. JeanChristophe Notin, DGSE. La fabrique des agents secrets, Tallandier, 2024.

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