MM. Joffrey Berthou et Charles Albert Glaudon
Introduction
En octobre 2016, Dassault Aviation et son homologue indien Reliance Industries annoncent la création d’une joint-venture en Inde, qui intervient seulement un mois après l’achat de 36 Rafale produit par Dassault Aviation par le gouvernement indien.
Dassault Aviation est une entreprise française et l’un des leaders mondiaux de l’industrie aéronautique. Cette renommée est notamment due à son savoir-faire dans la production d’avions de combat comme le Rafale. De son côté, Reliance Industries est un grand groupe indien ayant des activités dans le BTP, le textile, le commerce de détail, les polymères et le pétrole. L’Inde et l’Asie représentent un marché à haut potentiel pour Dassault. A ce titre, la décision de s’installer en Inde via cette joint-venture permet à Dassault de se rapprocher du marché asiatique avec un partenaire local. Il s’agit ainsi d’une stratégie de croissance par la diminution des coûts fixes et variables en transférant en partie, et en centrant sa chaîne de production au plus près des pays producteurs des composants nécessaires au montage des appareils. Cette stratégie présente aussi des risques, ceux de pertes en savoir-faire et en qualité.
C’est dans ce contexte que nous avons fait le choix de nous intéresser à la joint-venture effectuée par Dassault en Inde avec Reliance Industries, et verrons en quoi ce choix s’installe dans un partenariat stratégique de longue date, tissé entre des entreprises françaises et indiennes du secteur de la défense.
Nous établirons le contexte du marché dans lequel Dassault Aviation est acteur, celui de l’aviation civile et militaire, observant les particularités de ce secteur, les enjeux stratégiques, les forces en présence, les principaux concurrents et les rapports de force qui en découlent, afin d’étudier le choix fait par Dassault. Nous n’omettrons pas de dresser les objectifs à court et moyen termes ainsi que les avantages et inconvénients de cette stratégie.
I. Le contexte général du marché
a) Le groupe Dassault Aviation
Créée en 1916 sous le nom de Bloch par Marcel Bloch, la société prend le nom de Dassault en 1949. Dans les années d'après-guerre, Dassault se retrouve rapidement comme l’unique entreprise pouvant produire des avions de combat pour les besoins de l’armée française. Le groupe Dassault compte aujourd’hui plus d’une dizaine de filiales à travers le monde dont la société historique Dassault Aviation qui produit des avions combat, des jets privés et propose une large gamme de services autour de ses appareils1 . Elle possède ellemême des filiales qui offrent un réseau de stations-services, de maintenance et un service de location de jet privé dans le monde. En effet, avec plus 2 100 Falcon et 1 000 avions de combat en service, les services de maintenance représentent une part notable de ses activités. Dassault Aviation propose en parallèle un service de simulation et d'entraînement pour leurs avions de combat via Sogitec. Le groupe détient 25% du groupe Thales. Thales est un groupe d’armement produisant des pièces aéronautiques et des composants de missiles pouvant être employés par les avions de Dassault Aviation.
En 2020, Dassault Aviation réalise un chiffre d'affaires de 5.5 milliards d'euros dont 89% est réalisé à l’export. Le groupe comptait en 2020, 12 441 salariés dans le monde dont 76% en France, répartis sur 35 sites dont 13 en France. Ses principaux clients se localisent en Amérique du Sud, au Moyen-Orient, en Afrique septentrionale et dans les Balkans. Malgré une forte ouverture à l’international, la conception, la production et l’assemblage des avions se font pratiquement en totalité sur le territoire français. Seul le site indien de Dassault Reliance est extraterritorial.
Cette stratégie peut s’expliquer par la protection des avancées technologiques2 et le manque de main-d’œuvre qualifiée. Les clients de Dassault Aviation étant des pays peu industrialisés dans le domaine aéronautique, le manque de main-d’œuvre qualifiée pourrait être l’une des raisons principales de la localisation des chaînes de production. Ses activités de services lui permettent d’avoir une présence à l’international et représentent 13% du chiffre d'affaires du groupe. Dassault Aviation représente ainsi l’un des plus gros constructeurs d’avions de combat au monde et est l’une des sociétés aéronautiques les plus importantes d’Europe. En 2020, elle se retrouve leader du programme européen Système de combat aérien du futur (SCAF) porté par la France, l’Allemagne et l’Espagne qui vise au développement d’un futur avion de combat3 . Dassault Aviation se distingue aussi sur le marché des jets privés en occupant la place de numéro 3 derrière Bombardier et Textron Aviation avec une part de marché de 15% en 20164 .
La dualité des activités civiles et militaires permet au groupe de diversifier leur production et de faire face aux cycles économiques. Les deux secteurs ne suivent pas les mêmes cycles5 . De plus, les technologies ne sont pas exclusives. En effet, les usines et les bureaux d’études se trouvent dans les mêmes espaces, une organisation permettant de réduire les coûts de R&D et de production. Dassault Aviation s’occupe de la conception, du fuselage et de l’assemblage. La fabrication d’avions nécessite un nombre important de fournisseurs à l’instar de Safran qui fabrique le moteur du Rafale6 . Dassault Aviation procède alors à une intégration verticale de certains de ses fournisseurs comme Thales ou Corse Composite Aéronautiques, et assure une intégration du service de maintenance de ses avions de combat et des jets privés à travers le monde. Contrairement à la vente d’avions, les services de maintenance permettent au groupe de percevoir des revenus réguliers.
b) Contexte, état du marché, concurrence
Le secteur de l’aéronautique militaire est un secteur très concurrentiel. Les principaux concurrents de Dassault Aviation sont les géants américains Boeing et Lockheed Martin puis SAAB (Suède) et Airbus en Europe. Les stratégies de ces géants du secteur peuvent être bien différentes. Lockheed Martin, affiche une stratégie bien différente. Le groupe américain exporte ses avions de combat à un plus grand nombre de clients, dont une partie d’entre eux possèdent une industrie aéronautique développée. En effet, l’une de ses principales cibles est le marché européen pour son F-35. Contrairement à Dassault Aviation, Lockheed Martin se retrouve avec plus de lignes de production délocalisées. Nous retrouvons notamment des lignes d’assemblage en Italie7 , au Japon et la promesse d'une ligne d'assemblage moteur en Finlande8 a été annoncée. Ces lignes prennent la forme d’une coopération avec des entreprises du secteur aéronautique du pays partenaire. Cependant, elles sont aux frais du partenaire étranger mais supervisées par le groupe américain. Lockheed Martin adopte une stratégie différente de Dassault en réalisant de nombreux partenariats sur les programmes de défense avec ses clients. Le programme de leur dernier avion de combat (F-35) a intégré financièrement de nombreux pays européens, ce qui leur a permis de financer la R&D. De plus, cette intégration évite la création d’un programme similaire au sein de l’Europe. Les pays ne peuvent modifier les compensations industrielles, une approche “Best Value” qui permet d’éviter les marchandages techniques et politiques avec les pays et leurs industriel, en ne garantissant pas de retours industriels pour les pays partenaires. Lockheed Martin ressort grand gagnant de ses partenariats alors que les pays partenaires se retrouvent dépendant technologiquement du géant américain 9 et perdent en savoir-faire.
Le marché de l’aviation militaire est très concurrentiel mais aussi cloisonné entre l’Occident, les Russes et les Chinois par des questions géopolitiques. Certains pays se dotent ainsi d’avions de combat occidentaux et russes afin de garder un approvisionnement en cas de rupture politique10 avec l’un de ces deux camps. Nous retrouvons ce principe principalement dans les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique septentrionale. En 2021, Dassault Aviation a reçu des commandes importantes pour son Rafale, mais si nous y regardons de plus près nous constatons qu'une partie de ces commandes concerne des pays possédant déjà des avions du groupe. La prise de nouvelles parts de marché reste un exercice très difficile dans ce secteur. En effet, les enjeux géopolitiques et la facilité de maintenance et d’opérabilité de rester avec le même fournisseur jouent fortement sur l’achat ou le renouvellement d’une flotte d’avions militaires. Nous nous retrouvons avec un marché très cyclique et incertain qui dépend du renouvellement des flottes et des instabilités géopolitiques. En 2021, Dassault a malgré tout augmenté le nombre d'avions commandés dans les pays déjà partenaires et a réussi à s’introduire sur le marché croate11. L’achat de Rafale est synonyme de partenariat et de coopération avec la France, une caractéristique qui peut créer des liens importants entre les nations et donner lieu à des coopérations. C’est dans ce contexte que nous nous sommes intéressés au choix stratégique de la joint-venture (JV) menée par Dassault Aviation et son partenaire indien Reliance.
II. Un choix stratégique ?
a) Les répercussions possibles de la stratégie de JV menée par Dassault en Inde
L’Inde est un client historique de la société Dassault Aviation, et de la France dans le secteur de la défense. Nombre de partenariats stratégiques de défense ont déjà été tissés entre entreprises françaises et indiennes12. La France et l’Inde continuent donc de tisser leur partenariat stratégique, cette fois entre Dassault et Reliance Industries.
Dassault a décidé de s’implanter en Inde avec une joint-venture par des investissements directs (IDE) à hauteur de 100 millions d’euros partagés avec la société Reliance pour créer Dassault Reliance Aerospace Ltd (DRAL) dont Dassault possède 49% et Reliance 51%13. Le groupe Reliance occupe une position dominante dans les secteurs des télécommunications, de l’énergie, des infrastructures, des services financiers, des médias et du divertissement en Inde. C’est une des plus grandes entreprises indiennes par sa capitalisation boursière, et la seconde en termes de chiffre d'affaires. Reliance Industries est, par ailleurs, le plus gros producteur de polymère au monde, nécessaire à la fabrication de matériaux composites de la structure des Rafale. Dassault s’associe donc à une firme performante pour sa JV14 . Il s’agit d’un investissement direct à l’étranger vertical, c’est-à-dire un fractionnement de la production dans différent pays. Seuls certains éléments du fuselage des avions y seront fabriqués15 dans un premier temps16. Aucun actif intangible, ni R&D n’ont vocation à y être transférés, et le siège décisionnel reste en France. Cette JV est un maillon de la chaîne de valeur globale. Ce partenariat aura pour but d'installer Dassault en Inde dans la durée. Le choix de la ville de Nagrup, dans l’État du Maharashtra en Inde, n'est pas anodin : c’est une grande ville du pays choisie par le programme Smart City, programme de développement urbain indien qui va permettre d’améliorer les infrastructures.
Par cette JV, Dassault ne prend pas l’Inde d’assaut, et décide de s’installer dans la durée.
Les communiqués de presse de Dassault font état de partenariats avec une soixantaine d’entreprises de la région pour produire des pièces pour les avions Falcon et Rafale, ce qui laisse présager une volonté de créer un pool dans la région. La société Dassault décidera donc de fournir à DRAL des machines et des technologies de pointe, pour produire les actifs spécifiques nécessaires à la construction des éléments de ses avions civils et militaires, la joint-venture protégeant de comportements opportunistes, ou de situations de hold-up17
b) L’impact
Cette JV à 100 millions d'euros pourra permettre de créer un cluster autour du site où des fournisseurs s’installeront pour profiter des externalités positives sur l’emploi résultant de la demande, cela contribuera à la centralisation de la chaîne de valeur. Des économies d’échelles résultant de la JV, des économies d’agglomération, et gains d’agglomération permis par les fournisseurs présents également. En outre, d’autres industries aéronautiques de pays développés ont déjà fait le choix de s’installer en Inde : les États-Unis (Boeing, General Electrics, Lockheed Martin), la Russie (UAC – Sukhoi JSC), Israël (Elbit, Rafael), le Royaume-Uni (BAE Systems). Un regroupement incitant les interactions stratégiques entre les entreprises sur place et les concurrents éventuels, un cluster aéronautique entraînant des relations de marchés, et des économies d’échelles externes, lesquelles dépendront de taille du secteur sont donc en prévision et espérées dans les années à venir18. De plus, un effet proconcurrentiel laissé présupposé est à prévoir. Il y a fort à parier que des effets positifs externes se manifestent par la présence des firmes multinationales et des interactions avec les fournisseurs locaux, ce qui pourrait être bénéfique aux salariés indiens, à condition que le progrès technique ne réduise pas la part des salaires dans le partage du bénéfice d’exploitation au profit du capital19. Le gouvernement indien souhaite investir pour former des salariés hautement qualifiés dans le secteur de l’aéronautique. Par ailleurs, le contrat d’offset (contrat permettant à l’acheteur de bénéficier de contreparties industrielles locales) prévu par la vente des Rafale à l’Inde le prévoit aussi. Dassault investit donc dans la formation des jeunes ingénieurs de l’aéronautique indien, par la “Dassault Skill Academy”.
Il est bon de noter que les plus grandes entreprises de fabrication de pièces pour l’aéronautique civile et militaire indiennes, Hindustan Aeronautics Limited (HAL), National Aerospace Laboratories (NAL), Mahindra Aerospace et Tata Advanced Systems, sont détenues en totalité par le gouvernement indien, qui leur a alloué un budget de 8,6 milliards de dollars en 2016. La France est également liée avec l’Inde par un traité d’investissement bilatéral depuis 2000, ce qui permet de sécuriser les investissements des entreprises françaises en Inde20. Le fait que 60% des besoins de l’Indian Air Force (IAF) soient importés (pièces complexes) a pu être un atout pour Dassault Aviation dans les négociations. L’achat par l’État indien de 36 Rafale à Dassault Aviation, prévoyait un contrat d’offset portant sur 50% du montant d’achat conclu par Dassault Aviation en un investissement industriel en Inde qui se manifeste, entre autres, par cette JV. Dassault est également monté au capital de Reliance Airport Developers Limited à 35%, société qui intervient dans la gestion et le développement d’infrastructures aéroportuaires, ce qui laisse présager une volonté d’installer des sites de maintenance pour les avions Dassault et de proposer un comptoir et des prestations dans ce pays émergeant d’Asie. L’État indien peut également avoir l’ambition d’asseoir son autonomie stratégique avec un partenariat de long terme, tel que le permet d’espérer cette JV, et d’accélérer ainsi le “Made in India”, et le “Skill India”. L’Inde a également comme ambition à terme de produire son propre avion de combat, ses partenariats stratégiques tissés de longue date pourront lui conférer le possible aboutissement de ses ambitions.
III. Evaluation de la stratégie
a) Dassault tire également bénéfice de cette JV
Une des raisons de la joint-venture peut aussi être d’internaliser une part coûteuse en frais d’exportation. En effet, il est coûteux d’exporter des avions, ou des pièces de carlingues. Les organismes d’assurance-crédit à l’exportation que sont la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur ou Euler-Hermes doivent assurer les transactions, moyennant des primes. Le coût du travail est réduit en produisant en Inde les pièces de fuselage. Les salaires étant plus faibles en Inde, il est intéressant d’y faire produire les pièces de carlingues, voire sur le long terme l’avion intégralement. Cela associé à un comptoir Dassault en Inde s’apparentera à une stratégie novatrice, rapprochant le marché d’approvisionnement en matériaux essentiels de la zone Indopacifique, mais aussi, in fine, le marché asiatique. Ainsi, la croissance des pays d’Asie pour 2022 risque d’atteindre 9,5%, et 20% pour le marché des avions d’affaires. Une stratégie d’omnishoring mélangeant plusieurs composantes de stratégies d’approvisionnement est possible. Une stratégie de positionnement judicieuse, mais qui comporte des risques de perte de qualité ou de perte en savoir-faire.
La distance lors des IDE verticaux a un effet négatif, et donc le fait de faire produire certaines pièces d’avions en Inde permet à Dassault de centrer sa chaîne de production au plus près des pays producteurs de pièces nécessaires à la fabrication des avions, de la zone Indopacifique, et de se rapprocher des marchés émergeants, en gardant le headquarter en France. Cela permet de limiter la distance des exportations21. D’autre part, Reliance est le plus gros producteur de polymère au monde, nécessaire aux matériaux composites indispensables au secteur aéronautique. L’acier l’est dans une moindre mesure : l’Inde est le troisième pays producteur de métal au monde. Les droits de douane ont beaucoup baissé depuis l’OMC, il reste des barrières non tarifaires, que sont les SPS et TBT22, les TBT représentant une part importante des coûts fixes et variables d’exportation pour l’acier et les matériaux composites, dont un équivalent ad valorem en droit de douanes de 13% pour l’acier23. C’est un gain économique pour Dassault de ne pas avoir à importer ces pièces, et de privilégier plutôt la centralisation de sa chaine de valeur globale pour s’éviter les coûts au commerce et l’impact de la distance. Gardons à l’esprit qu’en s’associant à Reliance, Dassault tirera bénéfice du carnet d’adresses de son partenaire indien.
Faire de l’Inde un positionnement stratégique en Asie est un choix judicieux, la banque mondial (Indicateur Doing Business), BpiFrance, EY , PwC le confirment 24. Le climat politique y est stable, les institutions respectées, le respect de la propriété également, des réformes fiscales y ont été faites, une classe moyenne émerge, 1/4 de la population active travaille dans le secteur tertiaire. Ce cadre est très important pour une société stratégique et duale (activités civiles et militaires), à l’instar de Dassault. Il ne faut pas que des données sensibles soient communiquées à un pays “incertain”, il en va du savoir-faire français et des intérêts de défense.
Bien que la R&D reste à Paris, l’Inde n’est pas un pays tant dissimilaire que cela selon certains points : une part de sa population est qualifiée, ce qui permet à Dassault un transfert technologique pertinent. Les dotations factorielles de l’Inde correspondent aux besoins de Dassault, et seront complétées par des transferts technologiques, et en savoir-faire. L’État indien investit notamment dans la formation des jeunes dans les métiers de l’aéronautique, Dassault également par le contrat d’offset qui doit favoriser le “Skill India” (Dassault Skill Academy en Inde). Dassault investit cependant dans l’imprimante 3D, ce qui réduira peut-être l’espoir pour les salariés indiens d’obtenir des salaires intéressants. Par ailleurs, Dassault privilégiera en cas de crise son marché national, donc français, et donc le marché indien pourrait en pâtir.
Les pays émergents d’Asie devraient enregistrer des taux de croissance groupés de l’ordre de 9,5 % en 202125. Il y a fort à parier qu'une part de la demande provienne d'Asie, avec 20 % du marché Asie-Pacifique pour la demande d’avions d’affaires. L’Indonésie, après l’Inde est intéressée par une commande de 18 Rafale26et bien que les pressions du marché soient rudes, notamment par la déstabilisation et les pressions américaines, Dassault pourra profiter de cette demande. Le choix fait par Dassault de s’être installé proche de sa demande finale ne s’apparente pas une stratégie de nearshoring, à proprement parler car l’Inde est éloigné de la France, culturellement, et en distance. En effet, cette stratégie consiste plutôt à délocaliser son activité économique proche de ses marchés de consommation malgré un marché émergeant en Asie. L’Inde dans un premier temps, et des pays voisins dans un second temps, pourront être clients.
b) D’éventuelles limites existent
Il ne faudrait pas que la dépendance bilatérale envers la joint-venture DRAL devienne trop importante (51 % du capital détenu par Reliance). Il en va de l’autonomie stratégique de la Société Dassault Aviation pour la fabrication de ses avions, du savoir français et des intérêts français de défense. Il ne faut pas qu’une partie du savoir-faire soit captée, que des savoir-faire soient perdus ou copiés. En effet, dans le cas où la proportion d’actifs spécifiques produits par la JV serait trop importante, Dassault pourrait être impacté si des conflits ou des intérêts divergeants émergent entre Dassault Aviation et Reliance27. Il est cependant convenu que les actifs intangibles, le headquarter, la R&D et le pouvoir de décision restent en France. Les différences culturelles, la langue, les méthodes de travail ne risquent-elles pas de poser un problème dans la fabrication des pièces d’avions ? L’on pourrait établir que non au regard d’un monde où la chaine de valeur globale est déjà si morcelée. Cependant, dans le cas de Dassault, la firme prévoit dans les dix prochaines années de faire produire intégralement des avions en Inde, la question peut alors se poser sur les différences de qualités, les savoir-faire, les risques encourus.
Conclusion
Ainsi, par ce choix, Dassault s’inscrit dans une stratégie de croissance par diminution des coûts fixes et variables. Prévoyant sur le long terme de faire produire intégralement des avions en Inde, où le prix de la main d’œuvre y est moindre, diminuera les coûts fixes. Misant, sur les progrès techniques dû à un investissement en R&D, Dassault pourra réduire les coûts d’autant plus. Par ailleurs, Dassault s’intègre dans une stratégie de longue date choisie par des firmes de défense françaises, et d’autres concurrents étrangers qui ont fait ce choix, faisant de l’Inde un cluster dans ce secteur. En outre, Dassault prévoit que la croissance viendra certainement d’Asie et fait le choix d’asseoir sa présence en Asie en Inde par cet IDE vertical, qui n’est pas à proprement parler un offshoring car il rapproche lieu de fabrication et marché de consommation final sans être un IDE horizontal. Si l’on ne peut pas parler de nearshoring car l’Inde n’est pas à proximité de la France, peut-être pouvons-nous parler d’omnishoring qui est un mélange stratégique. Dassault réduit ses coûts fixes salariaux et se rapproche des marchés d’Asie, ce qui lui permet de diminuer ses coûts fixes et variables d’exportation en centrant sa chaîne de valeur. Les chaînes de montage en France lui permettront de servir le marché européen et celles en Inde le marché asiatique. Il demeure cependant le risque de perte en savoir-faire et le risque de goulet d’étranglement de la chaîne de valeur.
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