Vers la guerre ?
Sébastien Lecornu 

M. Bastien POULIQUEN

 

I/Introduction et biographie

          Paru le 10 octobre aux éditions Plon, le Ministre des Armées Sébastien Lecornu s’inscrit dans la continuité de Bruno Le Maire, avec sa Voie Française, en offrant une analyse aux assises actuelles et historiques d’une armée française “face au réarmement du monde” (pour citer sa première de couverture). Fort de ses 288 pages, l’ouvrage est divisé en quatre parties (pour 18 chapitres), résumables de la sorte : 

1.Les origines doctrinales et capacitaires de l’armée française depuis 1945 

2.L’émergence de nouvelles menaces 

3.L’état de l’armée française aujourd’hui, et ses perspectives futures 

4.L’importance centrale du politique dans la stratégie de défense 

Notre analyse visera ainsi dans un premier temps à dégager les lignes directrices de l'ouvrage, avant d’aborder dans un second temps ses idées sous-jacentes, et d’enfin conclure par une brève critique personnelle.

 

        Monsieur le ministre des Armées Sébastien Lecornu, né le 11 juin 1986, s’appuie sur une formation en droit à l’Université de Paris 2 Panthéon-Assas, qui ne l’empêche pas de rapidement rejoindre le monde politique. De 2008 à 2012, il devient conseiller ministériel aux affaires européennes sous le deuxième gouvernement François Fillon, puis rejoint Bruno Le Maire au ministère de l’Agriculture. Dès 2014, il est élu maire de Vernon, petite commune de l’Eure proche de Giverny, sa devise : Vernon semper viret (Vernon toujours vert). Prémonitoire ou non, Sébastien Lecornu rejoint en 2017 le ministère de la Transition écologique et solidaire en tant que Secrétaire d’Etat, avant d’être chargé des collectivités territoriales (2018), puis desTerritoires d’Outre-Mer (2020). Le 20 mai 2022, Sébastien Lecornu est finalement nommé au ministère des Armées en tant que ministre référent. Selon la formule du Point suivant son intronisation: “un homme jeune encore mais expérimenté”.

 

II/ Contexte d'écriture 

Un ouvrage inscrit dans le temps long 

        Monsieur Lecornu affiche dès les premières pages la proximité idéologique qu’il entretient avec certains de ses prédécesseurs au ministère des Armées : “Un homme, parmi mes prédécesseurs, représente pour moi une source d’inspiration permanente : Pierre Messmer” [Ministre des Armées de Charles de Gaulle de 1960 à 1969]. On notera notamment que la seule annexe de l’ouvrage est dédiée à la loi de programme n° 60-1305 du 8 décembre 1960 relative à certains équipements militaires, qui marque la renaissance capacitaire et stratégique de l’armée française post Seconde Guerre-Mondiale. De fait, chaque chapitre est rythmé de citations des plumes des deux hommes précédemment cités, auxquels s’ajoutent le général d’armée André Beaufre, ainsi que Sun Tzu et Fénelon pour la touche philosophico-stratégique. C’est dans cette logique du temps long qu’une partie entière de l’ouvrage (la première) est dédiée à l’historique de l’armée française ; d’abord par ses limites affichées post-1945 (Guerre d’Indochine de 1946 à 1954, Guerre d’Algérie de 1954 à 1962), puis de son rebond sous la tutelle du général De Gaulle, ensuite de ses évolutions structurelles en réponse au changement de nature des conflits et de la structure internationale, et enfin de son déclin progressif.

D’un autre côté, fortement influencé par le contexte politico-stratégique

       En effet, mentionnant “la dernière campagne législative de l’été 2024”, monsieur Sébastien Lecornu est bien conscient des problématiques que posent aujourd’hui une cohabitation pour la politique de défense française. En découle, un chapitre entier dédié à la spécification du “domaine réservé” (ou “domaine partagé”) du Président. Réflexion s’initiant sur les propos tenus par Marine Le Pen : le “chef des armées, pour le président, c’est un titre honorifique puisque c’est le Premier Ministre qui tient les cordons de la bourse”. L’enjeu du respect des crédits affirmés dans la Loi de Programmation Militaire 2024-2030 ¹ est également remis au goût jour. Car si le rebond budgétaire date du mandat ministérielle de madame Florence Parly (et de sa fameuse expression de la loi investi “jusqu’au dernier centime”), le devoir affiché de Sébastien Lecornu est de maintenir ces acquis en temps de disette budgétaire. Et alors que jusqu’en 2017, la défense faisait office de variable d’ajustement au profit de ministères plus “bruyants” (le fameux devoir de réserve du militaire français) ; le Ministère des Armées pourrait bien être le seul à résister aux coupes budgétaires du gouvernement de Michel Barnier. Enfin, le contexte stratégique européen marqué depuis le 24 février 2022 par l’agression Russe en terre d’Ukraine. Avec l’affirmation de l'héritage gaullien de la force nucléaire française, dont l’auteur rappelle toute la profondeur doctrinaire, à l’aune des difficultés d’Emmanuel Macron à s’affirmer dans la sphère publique sur le sujet. Cela avant d’aboutir sur une discussion globale relative au système d’alliance français (OTAN, Union Européenne...) et de ses perspectives.

 

III/ Thèse de l'auteur :  

“Nous ne sommes plus en paix”, “Pour faire Face. Pour le succès des armées de la France”

          Tel débute et clôt la conclusion de l’ouvrage. Tout le travail de Sébastien Lecornu semble avoir été de présenter la notion de réalisme français, avec toute la légitimité de son expérience en tant que ministre des Armées. Bien qu’étant une institution de la République appréciée des citoyens français, l’Armée souffre de méconnaissance, et l'œuvre de Sébastien Lecornu est à envisager dans ce creuset. Elle cherche consciencieusement à démontrer une voie possible, nécessitant avant tout le soutien du peuple. Pour reprendre ses mots précis, “Notre réarmement mérite donc une mobilisation générale et celle-ci ne saurait être une seule question d’argent”. 

        L’affirmation de réalisme passe également par le risque de l’incohérence, qu’une politique nationale et étrangère inadéquate présente pour des forces armées ne se voyant pas offrir les ressources ad hoc. Comme analysé en profondeur par Olivier Zajec ², l’importance de l’adéquation du triptyque de la stratégie déclaratoire (la formalisation des intérêts nationaux par le politique), de la stratégie opérationnelle (doctrine militaire de mises en oeuvre de la première) et de la stratégie des moyens (capacités acquises pour appliquer la seconde). Monsieur le Ministre détaille ainsi une conséquence possible : la disparition complète de certaines capacités, scénario attesté par le cas britannique. En France, l'écueil aurait été évité en choisissant la voie d’une armée « échantillonnaire » (ou « bonsaï » pour les plus ironiques - très élégante mais un peu réduite). L’un des moyens de résister à l’incompréhension des décideurs politiques fut selon les mots de l’auteur, la « mentalité du hérisson : au moindre bruit de convocation d’une réunion à Bercy ou à Matignon sur le suivi budgétaire de la programmation militaire, tous les services et états-majors s’immobilisent et sortent les piquants d’auto-défense ». La conséquence de cela aurait été l’émergence d’un esprit d’immobilisme au sein des armées, qui perdurerait encore aujourd’hui. Phénomène faisant tâche avec l’objectif premier de monsieur Lecornu : la préparation de la guerre du futur ; qui loin de se limiter aux seuls crédits, devra également se concrétiser dans les faits face à l’émergence de nouvelles menaces hybrides.

        Pour en conclure avec cette tentative d’appréhender les idées sous-jacentes de l’ouvrage, ces interrogations du Ministre tirées de ses phrases conclusives : « Si nous voyons ces dangers, pourquoi ne pas mieux s’y préparer ? Si nous comprenons que ces menaces sont hybrides, sournoises, empruntant les canaux démocratiques et touchant davantage la vie des populations civiles, pourquoi ne pas hâter la préparation de la société toute entière pour y faire face ? Si nous pensons que la France doit conserver sa vocation mondiale et continuer de tenir le rôle que l’Histoire lui a donné, pourquoi ne pas se donner collectivement les moyens de rester une grande puissance ? ». 

 

IV/ Pistes de réflexion 

Sur la forme : 

          Divisé en 4 parties et 18 chapitres, Vers la guerre est un ouvrage d’une grande clarté. Qui sans s'appesantir sur un point en particulier, brosse une vue d’ensemble très complète de l’Institution militaire française. Car si certaines parties de l’ouvrage poussent un peu la théorie (notamment sur les questions organisationnelles et décisionnelles) ; l’ouvrage ne paraît pas vouloir offrir une vision théorique nécessairement novatrice, mais plutôt de sonner la tirette d’alarme. Brève illustration, j’appris avec surprise de sa rupture de stocks au pourtant vaste Gibert Joseph du boulevard Saint-Michel, lors de ma première tentative de l’acquérir. Mais c’est au fond ce que l’on pourrait attendre du ministre des Armées qui laisse les détails à d’autres et parvient à remplir son rôle “d’entremetteur” avec le monde civil. Succès d’autant plus grand sachant que Sébastien Lecornu, malgré une carrière dans la réserve militaire en tant que colonel de la Gendarmerie Nationale, n’est à ce poste que depuis 2022. L’enracinement profond montré dans ses pages au sein des traditions militaires et stratégiques françaises permet de mieux saisir les bonnes relations qu’il entretient avec l’appareil militaire.

Sur le fond : 

          Nous avons précédemment abordé le contexte national, cet ouvrage a également un fond politique propre. Illustration en est le soutien renouvelé à la place du Président en tant que “seul chef des armée”, loin d’être évidente, comme a pu remarquer le constitutionnaliste Thibaud Mulier dans les pages du Monde ³ : “Si le titre de « chef des armées » n’est pas qu’un titre honorifique, comme l’avait affirmé Marine Le Pen durant la campagne législative, la marge de manœuvre du chef de l’Etat en matière de défense dépend en partie de l’état de ses relations avec le premier ministre”. De même, l’affirmation du désintérêt (d’une majorité) de la classe politique française pour les choses militaires, exception faite des partis du centre, semble un peu réductrice. Il est néanmoins ardu de reprocher à un ministre en exercice de protéger son bilan ainsi que celui de sa famille politique. Et hormis ces quelques points, Monsieur Lecornu a affiché une agréable objectivité, permettant au lecteur d’apprécier le fond sans s’inquiéter de questions de neutralité. Un ouvrage somme toute plaisant à lire, s’inscrivant dans une actualité brûlante.

 

Bibliographie 

1.“La loi de Programmation Militaire sous la menace de renoncements”, Le Monde, Chloé Hoorman et Elise Vincent, 29/10/2024 ; 

2.”De la stratégie déclaratoire aux illusions incantatoires”, Revue DSI, Olivier Zajec, Numéro 173 de Septembre - Octobre ; 

3. ”La distribution des compétences entre le président et le premier ministre n’est pas figée dans le marbre, surtout pas le marbre constitutionnel”, Le Monde, Thibaud Mulier, 22/10/2024 ; 

4. ”Histoire militaire de la France”, Editions Perrin, Hervé Drévillon et Olivier Wieviorka, 2022 ; 

5. ”Les Présidents et la guerre”, Editions Perrin, Pierre Servent, 13 février 2017 ; 

6. ”Armée et Nation’, Hérodote, Numéro 416, 2005.

PANTHÉON-SORBONNE SÉCURITÉ-DÉFENSE

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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